Dans un rapport sur les pratiques en matière de recrutement de main-d’œuvre du Mexique pour des emplois au Canada, le gouvernement fédéral est invité à accroître la mobilité professionnelle des travailleurs migrants et à endiguer le prélèvement de commissions par les consultants en immigration, tandis que les administrations provinciales sont appelées à mettre fin à l’exclusion généralisée des travailleurs agricoles de l’exercice de certains droits.
Le gouvernement fédéral canadien devrait renforcer la mobilité professionnelle des travailleurs migrants, notamment en supprimant le permis de travail lié à un employeur spécifique, et combler les failles de la législation qui exposent les travailleurs migrants au risque d’être exploités par des consultants en immigration abusifs, déclare aujourd’hui FairSquare dans un rapport de 150 pages sur le recrutement de travailleurs migrants mexicains pour des emplois au Canada.
FairSquare Projects est une organisation à but non lucratif spécialisée dans la défense des droits humains, en particulier des travailleurs migrants. Consacré à l’examen des modalités du recrutement de travailleurs et travailleuses du Mexique pour des emplois au Canada, le rapport intitulé Du Mexique au Canada : le point sur le recrutement équitable s’inscrit dans le cadre du projet 5 Corridors, dont le but est d’émettre des orientations sur les mesures que les États peuvent adopter pour garantir que le recrutement soit équitable et conforme à l’éthique.
FairSquare recommande également que les autorités fédérales ouvrent l’accès au statut de résident aux travailleurs migrants à bas salaire et renforcent les mécanismes d’indemnisation des travailleurs. Le rapport salue les efforts du Canada dans divers domaines, notamment l’interdiction claire par toutes les provinces du paiement de commissions de recrutement par les travailleurs, l’introduction du permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables, en 2019, et la mise en place du Réseau de soutien aux travailleurs migrants, initiative visant à améliorer le dialogue entre travailleurs migrants, organisations de la société civile et organes du gouvernement.
« La pandémie de COVID-19 a montré combien la contribution des travailleurs migrants était indispensable à la société et à l’économie du Canada, tant pour l’agriculture que pour les soins ou les services essentiels », explique James Lynch, cofondateur et codirecteur de FairSquare.
« Cependant, la situation des travailleurs à bas salaire reste bien trop souvent précaire, soit parce que le droit du travail ne s’applique pas à ces personnes en raison du secteur dans lequel elles travaillent, soit parce que leur situation au regard de la législation sur l’immigration les place dans une relation de dépendance vis-à-vis de leur employeur, soit encore parce qu’elles sont endettées après avoir payé des commissions de recrutement exorbitantes pour pouvoir être dans le pays. »
Les travailleurs agricoles, particulièrement exposés
La majorité des 30 000 travailleurs mexicains environ au Canada – qui représentent aux alentours de 10 % de la main-d’œuvre migrante présente dans le pays – sont des travailleurs et travailleuses agricoles saisonniers, qui migrent chaque année dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS), administré par le gouvernement. Grâce à la gestion relativement stricte de ce programme, les travailleurs sont rarement amenés à verser des commissions de recrutement illégales pour migrer. Néanmoins, des plaintes récurrentes ont été déposées par des travailleurs dans le cadre de ce dispositif, concernant notamment des retenues sur salaire non justifiées, des horaires de travail excessifs, voire indécents, et des logements bondés aux conditions insalubres. Une travailleuse de la province de l’Alberta a déclaré à l’équipe de recherche qu’en 2020, pendant la pandémie, ses employeurs avaient dissimulé sa présence et celle de ses collègues aux inspecteurs du gouvernement afin de ne pas révéler le nombre réel de travailleuses par chambre.
Le droit du travail canadien est établi à l’échelon provincial et, dans de nombreuses régions du pays, les travailleurs agricoles ne bénéficient pas des protections essentielles des travailleurs. Les chercheurs ont appelé cette pratique « l’exception des travailleurs agricoles ». Dans les provinces de l’Ontario et de l’Alberta, qui accueillent le plus grand nombre de travailleurs migrants mexicains, les travailleurs agricoles ne peuvent se syndiquer et engager des négociations collectives. Par ailleurs, les travailleurs agricoles de plusieurs provinces, dont l’Ontario, le Québec, la Colombie-Britannique et l’Alberta, ne sont pas protégés, à différents degrés, par certains droits élémentaires des travailleurs tels que les limites du nombre d’heures de travail, les pauses quotidiennes, le temps de repos entre deux journées de travail, les jours de repos ou la rémunération des heures supplémentaires. L’Organisation internationale du travail (l’agence des Nations unies pour le monde du travail) a appelé les autorités à repenser l’exclusion des travailleurs agricoles du droit du travail et a critiqué en particulier l’interdiction par la province de l’Ontario de la syndicalisation dans le secteur. Les travailleurs et travailleuses domestiques, ou aides familiaux et aides familiales, se heurtent à des exclusions comparables dans plusieurs provinces.
Le permis de travail lié à un employeur spécifique
Pour la plupart des travailleurs migrants employés aux termes du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), le permis de travail est « lié à un employeur spécifique » ou « fermé », comme il est parfois appelé, alors que les travailleurs du PTAS doivent obtenir l’autorisation de leur employeur pour changer de poste. La crainte de perdre leur emploi et d’être rapatriés par leur employeur fait que les migrants peuvent difficilement refuser d’exercer des tâches dangereuses ou de travailler pendant un nombre d’heures excessif. Un travailleur agricole mexicain du PTAS a déclaré à l’équipe de recherche que l’impossibilité de changer d’emploi « donne à l’employeur la possibilité d’imposer le plus de travail possible au travailleur, qui ne pourra même pas dire : “ça suffit, je vais chercher du travail ailleurs” ».
En 2019, le gouvernement fédéral a mis en place le dispositif des permis de travail ouverts pour les travailleurs vulnérables, afin de « fournir aux travailleurs migrants qui sont victimes de violence, ou qui risquent de l’être, un moyen distinct de quitter leur employeur. » Au cours des 18 mois ayant suivi l’introduction du dispositif, environ 800 permis de travail ouverts ont été délivrés, au rythme d’une dizaine par semaine. Néanmoins, les syndicats et les organisations de la société civile qui aident les travailleurs à obtenir ce permis ont déclaré à l’équipe de recherche que le processus est trop complexe, ce que des fonctionnaires fédéraux ont reconnu.
Consultants en immigration et commissions
Toutes les provinces interdisent le prélèvement de commissions de recrutement aux travailleurs migrants, mais les consultants en immigration certifiés sont autorisés à facturer aux migrants des services de conseil en immigration. Or, étant donné qu’un consultant peut exercer simultanément l’activité de recruteur, des prestataires peu scrupuleux peuvent « vendre » des emplois à des travailleurs migrants en leur facturant un service de soi-disant « conseil en immigration ». Comme une personne consultante l’a déclaré à l’équipe de recherche, « le problème vient du fait que c’est en vendant des emplois qu’il y a de l’argent à se faire ».
Le rapport invite le gouvernement fédéral à étudier la possibilité d’interdire tout versement de commissions de travailleurs à des consultants en immigration pour une candidature au PTET ou à tout autre programme dans le cadre duquel les permis de travail sont liés à un employeur spécifique.
La complexité de la gouvernance du Canada et ses répercussions sur les travailleurs migrants
FairSquare recommande également au gouvernement fédéral et aux administrations provinciales d’améliorer leur coordination et d’harmoniser leurs protections des travailleurs. D’après un document de recherche de 2020 d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), la conséquence de la structure de gouvernance fédérale du pays « est une couverture nettement différente en ce qui a trait à la protection offerte aux travailleurs migrants à travers le Canada et des règles incohérentes pour les intervenants concernés, y compris les recruteurs qui exercent des activités dans diverses provinces. » Alors que les provinces du Manitoba, de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan, notamment, ont des dispositifs de certification rigoureux, l’Ontario et plusieurs autres provinces n’obligent pas les recruteurs de main-d’œuvre à se faire enregistrer pour exercer leurs activités, ce que les syndicats et les agences de recrutement appellent à faire évoluer.
Les travailleurs migrants disposent d’un large éventail de voies de recours au Canada, mais ils sont souvent tributaires des organisations de la société civile et des syndicats pour identifier celle qu’il leur convient d’emprunter. Le rapport met en évidence le fait qu’aucun financement n’est accordé à l’assistance juridique nécessaire aux travailleurs migrants pour saisir les instances concernées par leurs griefs en matière d’emploi, à moins qu’ils ne relèvent de la traite de personnes. Il recommande que les administrations étudient la possibilité de financer une aide juridique pour aider les travailleurs migrants à déposer des recours aux échelons fédéral et provincial et à mettre en œuvre les procédures connexes, notamment l’obtention d’un permis de travail ouvert en cas de situation d’atteintes aux droits humains.
Contexte
Le rapport se fonde sur 59 entretiens approfondis effectués au Mexique et au Canada, notamment avec des travailleurs migrants et travailleuses migrantes, des fonctionnaires, des agences de recrutement, des consultant·e·s en immigration, des employeurs, des ONG, des syndicats, des universitaires, des journalistes et des avocat·e·s. IRCC a fourni une réponse écrite à nos conclusions préliminaires.
Les autres pays décrits dans le projet 5 Corridors sont le Koweït, le Myanmar, le Népal, les Philippines, le Qatar, Taiwan et la Thaïlande. Le rapport est disponible dans son intégralité en anglais, avec un résumé des conclusions en français, à l’adresse suivante : fivecorridorsproject.org.
Pour tout commentaire, veuillez écrire à Jorge Aceytuno ou à James Lynch.